vendredi 12 février 2010

Qu'est-ce que la traduction juridique ?



La réponse à cette question semble évidente : la traduction juridique, c'est la traduction de textes juridiques. Mais qu'est-ce qu'un texte juridique ? Et en quoi consiste l'opération que l'on nomme traduction ?

Qu'est-ce qu'un texte juridique ?
    C'est ici que les choses se compliquent. Une première réponse pourrait consister à dire que les textes juridiques sont ceux qui utilisent le vocabulaire du droit. Les textes où apparaissent les mots contrat, obligation, procureur, ayant-droit, subrogation, droits réels, etc.  Mais cette réponse est un peu courte en ce qu'elle oublie que le droit s'incarne dans le langage, et par conséquent que le texte juridique n'est pas seulement un texte qui a une signification, qui veut dire quelque chose, mais qu'il est aussi porteur d'informations - comme l'ADN ou un programme informatique - qui visent à produire des effets précis (l'acheteur versera telle somme au vendeur, le vendeur remettra la chose vendue à l'acheteur, etc.) dans l'environnement dans lequel ils interviennent.

    Pour dire les choses autrement, je reprendrai la distinction opérée par Hans Kelsen dans sa  Théorie pure du Droit (dans la traduction de Charles Eisenmann de 1962) entre normes juridiques et propositions de droit. Les normes visent à produire des effets dans un ordre juridique donné. Le texte qui les contient est un texte prescriptif. Les propositions de droit ont en revanche un caractère descriptif : ce sont les énoncés proposés par la science du droit, les commentaires formulés sur les normes juridiques. Font partie de cette catégorie, entre autres, les articles de doctrine rédigés par les professeurs de droit.

    Les textes juridiques sont donc les textes qui sont porteurs de normes juridiques (les lois, par exemple), qui contiennent des propositions de droit (les articles de doctrine par exemple), ou qui présentent un caractère mixte.

    En quoi consiste l'opération de traduction de textes juridiques ?

    S'il s'agit de traduire des normes juridiques (par exemple une loi), la traduction du texte consiste à faire en sorte que le texte produise dans la langue cible (la langue en direction de laquelle le texte est traduit) les mêmes effets que dans la langue source (la langue dans laquelle est écrit le texte qui est traduit). Imaginons que le texte à traduire soit un contrat entre deux parties (A et B), et que l'une des deux parties (A) soit totalement bilingue et parle parfaitement la langue d'origine du contrat et celle dans laquelle le contrat est traduit (B ne parlant quant à lui que la langue cible, sinon à quoi bon traduire le contrat ?). L'opération de traduction consiste à faire en sorte que A et B s'entendent sur leurs obligations respectives malgré leur différence de langue, et l'opération aura totalement réussi si A - qui rappelons-le est parfaitement bilingue - comprend ses droits et ses obligations de manière identique lorsqu'il lit le texte original et lorsqu'il en lit la traduction.

    Si le texte qui doit être traduit est un texte descriptif qui ne comprend pas de normes juridiques mais uniquement des propositions de droit, l'objectif poursuivi par la traduction n'est plus de faire en sorte qu'un texte traduit provoque les mêmes effets dans une autre langue - et parfois, mais cette question fera l'objet d'un autre message, dans un autre ordre juridique - mais que l'explication donnée dans une langue soit comprise dans l'autre langue.

    L'essentiel, quand on traduit des normes juridiques, c'est le comportement du lecteur. Il faut avant tout privilégier la clarté (si le texte d'origine est clair lui-même), aux dépens parfois de l'élégance du style. L'essentiel n'est pas que le lecteur trouve le texte élégant et bien tourné, mais qu'il comprenne quels sont ses droits et ses obligations. Les fautes d'orthographes et de syntaxe sont bien-sûr interdites, mais elles ne sont graves que si elles amènent le lecteur à comprendre qu'il a d'autres droits ou d'autres obligations que ceux prévus par le texte original.

    La traduction d'un texte ne comportant que des propositions de droit et qui souvent consiste à faire comprendre une pensée subtile et des points de vue complexes, et non à entraîner des effets dans un ordre juridique, répond à des exigences différentes : il doit traduire fidèlement le cheminement intellectuel et le style de l'auteur.

    Dans la pratique quotidienne du juriste traducteur, les choses sont il est vrai plus complexes et moins tranchées - normes et propositions de droits utilisent les mêmes mots -  et ce n'est parfois qu'à la marge que se manifestent les différences entre textes porteurs de normes et textes descriptifs.

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